TENDANCE | COURIR (LITTÉRALEMENT) D’UNE BUVETTE À L’AUTRE
Source et crédit photo : LA PRESSE | Sarah Mongeau-Birkett| [Extrait] LA PRESSE, Rose-Aimée Automne T.Morin, 16 novembre 2025
Avez-vous déjà vu 95 coureurs débarquer dans un restaurant plutôt chic, en sueur et assoiffés ? L’image est amusante. Surtout quand on fait partie de la gang.

Run & Sip réunit des sportifs en quête de kilomètres à se mettre dans les jambes, de rencontres et de bons vins. Comme j’aime beaucoup courir et encore plus manger, j’ai décidé de participer à la sixième activité du club de course le plus gourmand de Montréal.
J’arrive au Prezze Mollo, restaurant italien situé dans le Mile End, à 17 h. Valérie Gagnon m’y attend déjà, assise au bar.
La mère de deux enfants s’est séparée, il y a un an et demi. À la recherche d’une soupape, elle a commencé à courir. Elle avait besoin de digérer la rupture, de prendre du temps pour elle et de sortir de la maison. « La course, c’était l’option la plus facile, dit-elle. Tu mets tes souliers et tu pars ! »
Évidemment, Valérie y a pris goût (la course, c’est une drogue). En août dernier, elle s’est dit qu’elle aimerait bien clore sa prochaine sortie en prenant un verre sur une terrasse. Elle a fait des recherches, trouvé des groupes de sportifs qui terminent leurs balades avec une bière, mais rien pour les amatrices de vin très sociables.

Elle a lancé une invitation sur ses réseaux sociaux : est-ce qu’il y a des gens qui ont envie de se rassembler dans une buvette après une course ? En voyant cette publication, l’un des cofondateurs du Prezze Mollo a proposé à Valérie d’accueillir les volontaires.
Le restaurant, ouvert le midi depuis mai 2025, s’apprêtait à offrir des soupers. Les entrepreneurs voulaient faire connaître leur établissement. C’était gagnant-gagnant.
Rendez-vous le 2 septembre à 18 h, donc.
Le jour venu, à 17 h 50, Valérie, sa sœur, son beau-frère et un ami étaient les seules personnes portant des souliers de course au Prezze Mollo…
« Bon, c’est un gros échec », s’est dit la fondatrice de Run & Sip.
Puis, les gens ont commencé à arriver. Vingt-deux personnes se sont présentées à cette première édition. Depuis, le groupe ne cesse de grossir, que ce soit pour courir de 5 à 6 km avant de prendre un verre à l’Archway à Verdun, à la Buvette Pompette à Rosemont ou au Bello dans la Petite Italie…
Vous l’aurez compris : l’objectif est de découvrir différents établissements de la métropole. On court à la rencontre de gens et de restaurants.
Comme le Prezze Mollo a été le premier à répondre présent, Valérie y ramène son groupe chaque mois.
Catherine Caron, copropriétaire du restaurant, en est ravie. Elle admire la mission de Run & Sip et voit dans cette alliance « restauration et bien-être » une tendance à adopter pour son industrie.

Les gens boivent moins ! Avant, l’excuse d’un verre était facile pour se rassembler. Maintenant, il faut trouver d’autres raisons de le faire. On doit se renouveler pour activer les espaces de restauration qu’on veut. Ce soir, les gens vont se rassembler autour de la course et autour d’un verre…
Évidemment, chacun est libre de commander ce qui lui plaît, l’alcool n’est pas obligatoire. Dans tous les cas, comme les sorties de Run & Sip ont lieu en début de semaine, elles assurent un certain achalandage lors de soirées moins occupées. D’ailleurs, il est 17 h 45 et les gens commencent à arriver.
Valérie Gagnon estime qu’on sera une soixantaine de coureurs. L’activité est gratuite et ne nécessite pas d’inscription, le nombre de participants relève donc toujours de la surprise…

À 17 h 58, il y a plutôt 95 personnes dans le hall d’entrée. Valérie n’en revient pas !
À 18 h tapantes, on entame notre trajet de 5,3 km. Les gens papotent, le temps est doux. Je répète souvent : « Mais c’est donc ben chouette ! »
On est de retour au restaurant 33 minutes plus tard. Les clients observent la longue file qui se forme à l’entrée avec des yeux ronds. C’est clair que nos survêtements sportifs et nos toupets mouillés contrastent avec les nappes blanches sur les tables.

Un spaghetti à la truffe fraîche du Québec et à la grappa après une course ? On dit oui !
C’est la première fois que je dégusterai des mets si fins en puant un brin. Qu’importe, je suis trop affamée et de bonne humeur pour me préoccuper de mon odeur.
Ma joie s’explique à la fois par les hormones post-course et le fait que le restaurant réputé pour ses pâtes fraîches offre aussi des plats sans gluten, ce qui est trop rare à mon humble avis de fille suivie en gastroentérologie.
Bar rayé, crudo de dorade avec sauce à l’argousier, puis rigatoni sans gluten épicés à la vodka pour moi. Cappelletti aux artichauts farcis à la ricotta et spaghetti à la truffe pour le coureur qui m’accompagne.

Tout est délicieux.
Les clientes assises à la table d’à côté, des habituées, me vantent la cuisine du chef Julien Messier-Cousineau.
« Et ça ne vous dérange pas de souper entourées de coureurs ?
— Moi, tout ce que je veux, c’est que le resto reste ouvert, répond l’une d’elles. À Montréal, ça peut être difficile même pour les très bons restaurants. Tant mieux si la course amène du monde ! »
Anticipant les courriels que je recevrai après la publication de cette chronique, je pose une dernière question à Valérie Gagnon : pourquoi avoir choisi un nom en anglais pour son club ?

L’évènement crée l’engouement.
Elle m’explique qu’elle avait un autre nom en tête, mais qu’il était déjà pris. Elle a ensuite pensé à Run & Sip, court et efficace. Jamais elle n’a cru que son projet prendrait une telle ampleur. Avoir su qu’il ne resterait pas confidentiel, elle aurait trouvé un nom en français… Elle se demande s’il est trop tard pour changer les choses.
J’en retiens qu’il vaut mieux voir à long terme quand on a des petits rêves qui ont le potentiel de devenir grands.
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