TENDANCE | LES Z FASCINÉS PAR LES LONGUES DISTANCES
Source et crédit photo : LA PRESSE | Marathon Beneva de Montréal | Olivier Jean | UTHC | [Extrait] LA PRESSE, Alexandre Pratt, 19 septembre 2025
Quand j’étais enfant, le marathon était une curiosité. Une activité qui fascinait mes oncles et mes tantes au mitan de leur vie. Les plus jeunes ? Pas tant. Je n’ai aucun souvenir d’avoir vu des vingtenaires courir autour de chez mes parents, même si nous vivions en face d’un parc, près d’une base militaire, pleine de jeunes en forme.
Lorsque je suis devenu adulte à mon tour, je n’ai développé aucun intérêt pour les courses d’endurance. Mes amis, mes camarades de classe et les collègues de bureau de mon âge ne couraient pas plus le marathon. Encore moins des Ironman. Ce n’est que plus tard, dans la trentaine ou la quarantaine, comme mes oncles et mes tantes, qu’ils se sont mis à avaler des kilomètres.
Mais cette dynamique est en train de changer. Le peloton rajeunit à une vitesse folle. Au Marathon Beneva de Montréal, ce week-end, 45 % des coureurs inscrits au marathon et au demi-marathon auront de 18 à 29 ans. Des chiffres impensables il y a deux ou trois ans. « Avant, la tranche d’âge dominante, c’était les 40 ans et plus. Maintenant, c’est différent », confirme le directeur général de l’évènement, Alex Ratthé.
Les Z sont si enthousiastes que partout dans le monde, ils contribuent à éclipser des records de participation. Dans la dernière année, les inscriptions au marathon de New York ont augmenté de 22 %. À Londres ? De 35 % ! Les triathlons attirent aussi plus de jeunes que jamais, a récemment rapporté le Financial Times.
Mais que s’est-il passé ?
Xavier St-Cyr est un de ces Z qui raffolent des longues distances. Précision : des très longues distances. « Le marathon, ce n’est pas assez long pour moi. » À 24 ans, il vient de gagner l’Ultra-trail Harricana, une course de 125 kilomètres dans les montagnes de Charlevoix. Pourtant, il y a cinq ans, il n’avait jamais couru de sa vie.
Mathieu Blanchard, à gauche, et Xavier St-Cyr, à droite, cogagnants de l’Ultra-trail Harricana
« Mes parents couraient, mais je ne les suivais pas. Je faisais surtout des sports d’équipe : soccer, rugby. Puis la COVID a frappé. On ne pouvait presque rien faire en équipe ni à l’intérieur. Je cherchais une échappatoire. Parmi les seules choses qui étaient permises, il y avait la course et le vélo. C’est comme ça que j’ai commencé. »
« La première fois, c’était un 5 kilomètres. Ensuite, j’ai augmenté la distance. Je me suis inscrit dans un marathon. On m’a expliqué qu’il y avait des crinqués qui couraient 160 kilomètres dans le bois. Je n’avais jamais fait de randonnée. J’avais seulement couru dans les rues autour de chez moi. »
Fin 2022, il participait à son premier ultramarathon, à Bromont. « Aujourd’hui, tout le monde autour de moi court. Pas tous des courses d’endurance, mais presque la moitié fait de la course en sentier. »
Victor Raposo, 29 ans, pratiquait aussi des sports d’équipe avant la pandémie. Pendant le confinement, il a tenté quelques fois de courir. Sans grand enthousiasme. Un problème de santé, en 2022, l’a convaincu de s’y mettre plus sérieusement. Il vient de faire l’Ironman de Lake Placid : 3,8 km de nage, 180 km de vélo et un marathon à pied.
« Quand j’ai commencé à m’entraîner, il y a trois ans, ce n’était pas encore à la mode dans ma génération. Dans mes premiers triathlons, je me tenais avec quatre, cinq autres personnes de mon âge. Les autres compétiteurs étaient plus vieux. Maintenant, je me tiens avec une cinquantaine d’athlètes de mon âge, qui font des triathlons ou des courses de longue distance. Être sportif, être actif, c’est rendu cool. »
Partout au Québec, de nouveaux clubs de course se forment. Les jeunes Montréalais les trouvent particulièrement attrayants. « Avant, raconte Alex Ratthé, il y avait quatre ou cinq clubs en ville. Aujourd’hui, il y en a une multitude le matin, le midi, le soir, le week-end. C’est devenu un phénomène dont on tient compte dans notre stratégie de communication. »
Ces clubs sont d’excellents cercles sociaux pour rencontrer d’autres passionnés de course – et l’âme sœur. L’entremetteuse par excellence ? Strava.
Cette application permet aux coureurs de partager leurs circuits, leurs chronos et d’interagir avec les autres membres du réseau. Mais ce n’est pas la seule appli populaire auprès des jeunes coureurs. Alex Ratthé croit fermement que l’explosion de l’intérêt des Z pour les courses d’endurance est liée à la croissance des réseaux sociaux.
« La pression des pairs, ça existe. De voir un membre de notre famille, un ami ou, surtout, un influenceur s’inscrire à un marathon, ça peut [nous motiver]. Il y a des défis sur TikTok. Des influenceurs invitent les gens à suivre leurs courses. Des personnes d’ici, comme Danovick Pitre et Rachelle Dion, mais aussi de l’international, comme le Français Anthony Frontera, qui est très suivi. On sait que le premier critère d’adhésion pour la course, c’est souvent de voir courir quelqu’un d’autre. »
Même les olympiens Charles Philibert-Thiboutot et Thomas Fafard, spécialistes du demi-fond, s’y intéressent. Le premier conclura sa carrière au marathon de New York, en novembre. Le second a annoncé son intention d’être sur la ligne de départ du marathon des Jeux de Los Angeles, en 2028.
Thomas Fafard au 5000 m des Jeux de Paris. L’hiver dernier, il a annoncé son intention de courir le marathon aux Jeux de Los Angeles.
Le mois dernier, une des personnalités québécoises les plus aimées des Z, Jay Du Temple, a attiré les projecteurs sur l’Ultra-trail Harricana, auquel il a participé. Ses 423 000 abonnés sur Instagram, 225 000 sur Facebook et 29 000 sur TikTok ont pu suivre son entraînement et sa course. Une visibilité exceptionnelle pour un sport de niche.
« Les réseaux sociaux ont un impact, c’est certain », soutient le directeur général des Évènements Harricana, Samuel Matte-Thibault. « Depuis l’année dernière, on remarque un gros engouement. Beaucoup de gens mettent ce type d’activité de l’avant sur les réseaux sociaux. Ça peut influencer d’autres personnes à se lancer dans des défis comme celui-là. »
Mathieu Blanchard (en rouge) et l’ancien animateur d’Occupation double Jay Du Temple (en blanc), à la course Ultra-trail Harricana, dans Charlevoix
Son évènement attire lui aussi plus de jeunes qu’avant. En trois ans, la proportion de coureurs de moins de 30 ans est passée de 23 % à 33 %. Une hausse significative.
« La course en sentier, c’est à la fois un sport individuel et collectif. Dans les longues distances, tu t’accroches avec des gens que tu rencontres. Tu passes de longues heures avec eux dans le bois. »
Ça plaît aux vingtenaires qui cherchent la compagnie de gens qui leur ressemblent. C’est une des sources de motivation du champion Xavier St-Cyr.
On vit quelque chose de spécial ensemble. Ça nous incite à nous inscrire dans encore plus d’évènements comme celui-là. Xavier St-Cyr
Les plaques tectoniques bougent. Tout change vite, remarque Samuel Matte-Thibault. Même les célébrations d’après-course ont maintenant un goût différent. « On donne pas mal plus de bières sans alcool que de bières alcoolisées ! »
Dans les semaines qui ont précédé son Ironman, Victor Raposo a d’ailleurs évité toute goutte d’alcool. Mais pour la course à laquelle il s’est inscrit pour fêter ses 30 ans, il fera une exception.
« Je porterai un costume de bouteille Heineken, et à tous les 5 kilomètres, je prendrai une shot de tequila », lance-t-il. Un clin d’œil à une phrase culte chez les vingtenaires.
Tequila, Heineken, pas le temps de niaiser.
Ils ont un marathon à finir.
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