TENDANCE | LA QUÊTE DE L’ULTRA
Source et crédit photo : KMAG | CHRISTIAN DIONNE [Extrait] KMAG, Alexandre Couture, 5 avril 2025

Les options ne manquent pas pour les amoureux de longue distance. Au Québec comme ailleurs dans le monde, les événements de courses ultras (dépassant 42,195 km), principalement en sentier (ultratrail), sont apparus aux quatre coins de la province afin de répondre à la demande.Au-delà des chiffres et retombées économiques de cette industrie en plein essor, c’est une communauté tissée serrée qui s’est formée autour de ce sport. Les organisateurs ont réussi à créer des événements familiaux, inclusifs à tous les niveaux et marqués par un indéniable esprit d’entraide et de camaraderie.
Mais avec la montée en popularité des courses d’ultra-distances vient également une augmentation des risques liés à cette pratique. Les épreuves d’endurance et les entrainements qui les précèdent sont extrêmement exigeants pour la santé, autant mentale que physique. Selon les spécialistes que nous avons consultés, il est essentiel de connaître les risques avant de se lancer dans l’aventure.
S’en donner à cœur joie
Si les bénéfices de l’activité physique sont prouvés depuis longtemps, les recherches portant sur les effets qu’ont sur le corps les sports d’endurance sont relativement récentes. Parmi elles, une étude américano-européenne publiée en 2021 dans Sports Medicine conclut que les courses d’ultra peuvent engendrer des problèmes de santé à long terme : « Chez certains individus, les complications touchent le système cardiovasculaire (notamment un dysfonctionnement du ventricule droit du cœur) ainsi que les systèmes rénal et musculosquelettique. Davantage d’études seront toutefois nécessaires pour mieux comprendre la complexe pathophysiologie des effets à long terme de la course d’ultra-endurance. »
Selon François Simard, médecin surspécialisé en cardiologie sportive et ancien membre du personnel médical du mythique FC Barcelone, il est évident que l’ultrarunning impose un stress important au système cardiovasculaire : « Dans le cas de courses d’aussi longue durée [qu’un 100 km], le cœur doit pomper à un haut débit cardiaque pour soutenir la demande. Cela peut prédisposer certains athlètes à développer des calcifications coronaires, soit le dépôt de cholestérol et de calcium dans les artères du cœur. Certains spécialistes avancent également que cela prédispose certains athlètes à des crises cardiaques. »
Le cardiologue originaire de la Mauricie tient à rappeler une chose fondamentale : l’activité physique régulière est bénéfique pour la santé physique et psychologique. Par contre, les sports d’endurance comme l’ultrarunning tendent à dépasser, pour le cœur, la ligne qui sépare les effets bienfaisants des effets néfastes. « On se rend compte que ceux qui s’adonnent à des exercices intenses, sur de longues durées et de façon répétée, ont davantage de chances de développer des complications cardiovasculaires que ceux qui s’entrainent de manière modérée », indique-t-il.
Concernant les coureurs qui se lancent dans l’ultrarunning, François Simard leur conseille de bien s’informer sur leurs prédispositions, comme l’âge et l’historique familial, et de ne prendre aucun risque lors de la pratique du sport. « L’adage no pain no gain (pas de gain sans souffrance), qu’on entend souvent, n’a pas sa place quand on parle de la santé du cœur, affirme-t-il. Il faut être attentif à tous les signes que le corps envoie, surtout lorsqu’on pratique des sports de si grande intensité. »
En cardiologie sportive, toute personne âgée de plus de 35 ans est qualifiée d’« athlète sénior ». Selon une étude française parue en 2011dans la revue scientifique Circulation, les risques de crise cardiaque et de morts subites, un phénomène rarissime dans le monde du sport, sont accrus chez ces athlètes. « Assurément, comme cardiologue, je recommande toujours la modération, ajoute François Simard. Cependant, si une personne est passionnée d’ultrarunning, qu’elle veut se dépasser, je lui dirais de le faire en réduisant le plus possible les risques. C’est un sport somme toute sécuritaire, mais dont le facteur de risque est plus élevé. »
Un terreau fertile pour le surentrainement
La modération est un sujet qui préoccupe Yves St-Louis depuis longtemps. Passionné des sports d’endurance depuis son jeune âge, l’ancien triathlonien travaille comme entraineur et conférencier à La Clinique Du Coureur. Il a acquis au fil des ans une expertise sur le phénomène de surentrainement. « Il est certain que l’ultra est une pépinière à surentrainement, lance-t-il d’emblée. Les épreuves sont de plus en plus longues et de plus en plus exigeantes sur le corps et le mental. »
L’ultrarunning couvre de grandes distances, souvent bien au-delà de 50 km, et parfois jusqu’à 160 km et même davantage. En vue de préparer de tels défis, les athlètes doivent accumuler un volume d’entrainement considérable, incluant de courses longues, des séances de vitesse et des montées. « Une gradation de fatigue peut s’installer, explique Yves St-Louis, qui a lui-même souffert de surentrainement dans sa vingtaine. Les performances diminuent en raison de cette fatigue grandissante, et les athlètes sentent qu’ils sont moins en forme. Le problème est qu’ils ont souvent le réflexe de redoubler d’efforts pour retrouver leur forme. »
Et les conséquences d’un surentrainement s’avèrent quelquefois catastrophiques. Selon une étude française publiée en 2019 dans la revue Current Biology, la surcharge d’entrainement peut causer des troubles du sommeil et/ou des douleurs musculaires, et même affecter la capacité cérébrale à prendre des décisions. « C’est une spirale destructrice qui peut mener au burnout, avertit Yves-St-Louis. C’est pourquoi on doit être particulièrement vigilant, en particulier dans le cas de disciplines telles que l’ultra, qui demande énormément au corps et à la tête. Cela étant dit, je suis très heureux de voir l’ultrarunning gagner en popularité. C’est un beau sport qui inspire beaucoup de gens. Il faut juste faire attention de garder un équilibre, comme dans n’importe quoi dans la vie, et se rappeler que ça doit avant tout rester une passion. »
La quête d’équilibre d’Anne Champagne
Les mots d’Yves St-Louis sont remplis de sens pour Anne Champagne. Élevée au rang de vedette par la communauté d’ultrarunning après une année 2019 époustouflante, l’athlète originaire de Joliette a par la suite connu une longue traversée du désert, marquée par une fatigue mentale et beaucoup de remises en question. « Au début, les victoires s’enchaînaient et j’étais comme prise dans une vague de performance, se souvient-elle. Je me sentais un peu invincible, je savais que physiquement je pouvais tout faire. Mais avec du recul, je me suis rendu compte que c’était mentalement que je n’étais pas prête. C’est ensuite que je suis tombée dans une spirale. La peur de décevoir, le stress, l’anxiété et la honte… Je n’arrivais plus à mettre un dossard. »
La Anne Champagne 2024 est résolument différente. Rejointe quelques jours après son émotive victoire au Québec Mega Trail, la coureuse de 30 ans dit avoir appris beaucoup sur elle-même dans les deux dernières années, un cheminement qui lui permet d’être en paix avec son sport. « Mon entraineur, Ray Zahab, a changé ma vie, avoue-t-elle. Avec son aide, j’ai pris un véritable pas de recul sur ma carrière, sur ma vie. J’ai pu changer mon mindset vis-à-vis des courses, je le fais maintenant sans pression, juste en me concentrant sur les aspects positifs et le fun que ça me procure.»
Cette nouvelle façon de voir les choses vient aussi de l’équilibre qu’elle a pu établir entre son sport et le reste de sa vie. L’ultrarunning implique beaucoup de temps et de sacrifices, mais Anne Champagne est convaincue qu’il est possible de « tout balancer ». « Les années passées, toutes les décisions que je prenais étaient influencées par le sport, dit-elle. Le recul que j’ai pris m’a aidée : je trouve mieux la balance entre mon travail, mes amis, ma famille, mon amoureux et mon sport. Je pense que c’est plus sain comme ça, au bout du compte. »
Le mot de la fin sur l’ultra
Les intervenants rencontrés lors de la préparation de cet article sont unanimes : l’ultrarunning est là pour rester. La discipline s’est bâti une communauté de passionnés, ancrée sur le dépassement de soi, la connexion à la nature et l’esprit de camaraderie. Comme pour n’importe quel sport, il est primordial de bien connaître les risques qui y sont associés. L’effet à long terme de cette pratique sur le corps fait encore l’objet de recherches scientifiques, et nous devrions en apprendre davantage dans les prochaines années. En attendant que la science évolue dans ce domaine, la pratique sécuritaire de l’ultrarunning repose sur l’équilibre entre la préparation physique, la préparation mentale et les précautions de sécurité.
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