TENDANCE | TIK TOK ENTRAÎNEUR DE COURSE
Source et crédit photo : La Presse | Mireille Boutin | Blaise Dubois | Alain Roberge [Extrait] La Presse, Marissa Groguhé, 19 juin 2025
De nombreux créateurs de contenu documentent sur la plateforme TikTok leurs entraînements ou leurs compétitions de course à pied, signe du gain d’intérêt pour ce sport auprès des jeunes adultes. De nombreuses vidéos peuvent motiver les sportifs, mais on doit faire attention à celles qui peuvent créer des attentes irréalistes.
La tendance
« On s’en va courir ! Le samedi, c’est ma journée de long run, on va faire un 16 km. » Téléphone à la main, veste d’hydratation et lunettes miroitantes bien en vue, Mireille Boutin se filme juste avant de commencer son entraînement. La créatrice de contenu montréalaise, dont plusieurs vidéos TikTok exposent ses courses, montre dans celle-ci l’évolution de sa sortie, tout en donnant des trucs. La publication a engendré plus de 20 000 visionnements. Ils sont nombreux, au Québec et ailleurs, à proposer ce genre de contenu sur la plateforme. La tendance traduit la montée en popularité de la course à pied au Québec, notamment auprès des jeunes adultes, très présents sur TikTok. D’ailleurs, 67 % des personnes inscrites à l’une des courses du Marathon de Montréal ont de 18 à 39 ans. « La COVID a ramené la course à pied au premier plan et dans les deux dernières années, c’est encore plus marqué, souligne Alexandre Ratthé, producteur du marathon de Montréal. C’est comme si maintenant, dans la trentaine, ou bien tu es à l’étape d’une maison et des enfants, ou bien à celle de courir un marathon ! »
Une source de motivation…
Caroline Pomerleau et Anouka Tremblay ne comptent plus le nombre de personnes qui leur ont écrit pour dire qu’elles avaient commencé à courir grâce à leurs vidéos. Le couple de trentenaires, des sportives expérimentées (Anouka Tremblay est coureuse et coach et Caroline Pomerleau est championne canadienne du marathon), se donne pour mission « de montrer aux femmes que de faire du sport, ça peut ressembler à plusieurs choses ». Elles documentent alors leurs entraînements et leur vie, sans fard, depuis 2022. À l’époque, peu de contenu de course existait en français, mais la situation a beaucoup évolué. Et tant mieux, selon les jeunes mamans, qui croient que « tout le monde peut courir » et que TikTok peut être une source de motivation. Selon Anouka Tremblay, « les gens qui donnent des conseils de qualité sont souvent moins suivis, c’est moins punché, plus nuancé, alors ça marche moins ». De leur côté, sa conjointe et elle nuancent leurs conseils (en parlant par exemple de ce qu’elles ont fait de bien et de moins bien), répondent à leurs abonnés pour les conseiller dans la section des commentaires ou expliquent avec humour les pour et les contre des accessoires qu’elles testent.
… et d’angoisse
Courir un marathon, « c’est quelque chose de grand, de hors norme », souligne Alexandre Ratthé. Le visionnement en chaîne des vidéos TikTok de certains influenceurs pourrait toutefois donner l’impression du contraire. En se comparant, sans connaître le plan de course ou la forme physique de la personne, un coureur ou une coureuse pourrait être découragé, ou même vouloir se pousser trop fort pour atteindre un standard qui n’est pas la norme. « On se diminue par les performances des autres, dit le producteur du marathon de Montréal. Si ma course est dans deux mois, que je fais un petit jog, mais que je me compare à celui dont la course est dans trois semaines et qui fait un 34 km, ça m’affecte. »
Blaise Dubois, physiothérapeute et fondateur de La Clinique du coureur, souligne d’ailleurs qu’un plan d’entraînement est propre à chacun et qu’il est nécessaire de comprendre de quoi il retourne avant de s’entraîner. « L’inconvénient des réseaux sociaux, c’est l’abondance de fausses connaissances, perpétuées par des gens qui n’ont pas la capacité de parler [de course à pied] », dit l’expert.
Montrer le vrai
« Il y a des fois où je finis mon long run et je me dis que je peux continuer, je me sens vraiment bien, mais là non, fallait que j’arrête », lance Mireille Boutin dans une vidéo TikTok. Pour elle, il est impératif de laisser savoir à ses abonnés que tout n’est pas parfait et qu’un entraînement peut moins bien se dérouler ou être plus difficile. Pour sa part, Alexandre Ratthé constate souvent une grande authenticité en ligne, ce qui permet de mieux démocratiser le sport. « Ce n’est pas le cas de tout le monde toutefois : certains ont la pression de performer ou de cacher leurs blessures, pour ne pas décevoir leur communauté », constate-t-il.
Des exemples à éviter
Ce qui fonctionne sur les réseaux sociaux, souvent, c’est ce qui impressionne. Par exemple, une vidéo vue 9,5 millions de fois montre une créatrice de contenu américaine annoncer à son mari qu’elle l’a inscrit, sans l’avertir, à un marathon qui a lieu… 24 heures plus tard. Sans entraînement, l’homme court ainsi 42,2 km le lendemain. Évidemment, l’exercice n’est pas recommandé. Si l’exemple est extrême, certaines personnes propagent sur TikTok de mauvaises idées ou même de mauvais conseils. De plus, certaines marques saisissent l’occasion de promouvoir leurs produits sur les plateformes. « Un influenceur peut avoir une belle communauté, mais avoir un biais commercial, affirme Blaise Dubois. Il faut avoir la conscience critique de se demander pourquoi on nous pousse telle chaussure plutôt qu’une autre et se demander ce qui nous convient. »
L’importance de bouger
Si on peut voir tout et son contraire sur TikTok en ce qui concerne la course, c’est en se tournant vers les créateurs de contenu expérimentés et crédibles (ils existent !) qu’on peut à la fois se motiver et bien s’informer, dit Blaise Dubois, mentionnant le compte de La Clinique du coureur. Quant aux vidéos d’influenceurs qui filment leurs courses, toute motivation est bonne à prendre, tant qu’on ne se perd pas dans la comparaison, estiment les personnes interrogées par La Presse. « Quand je regarde quelqu’un courir, même avec de trop grosses chaussures, je me dis qu’il y a des mythes à défaire, mais que tant que la personne bouge, je suis heureux. » Mireille Boutin abonde dans le même sens. « Oui, on peut dire que c’est la grosse mode, mais c’est la meilleure mode qu’il peut y avoir ! »
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